Une étude en obstétrique entraîne la modification des recommandations pour la pratique clinique
Un chercheur découvre l'inutilité d'une intervention courante

Parfois, dans le domaine des soins de santé, les progrès ne résident pas dans la mise au point de technologies ou de traitements nouveaux, mais plutôt dans la découverte qu'une intervention courante n'est pas aussi efficace qu'on le croyait.

C'est ce qui s'est produit lorsque le Dr William D. Fraser a commencé à faire des recherches sur l'efficacité d'un traitement appelé amnio-infusion (AI). Cette intervention est utilisée chez certaines femmes qui sont sur le point d'accoucher afin de retirer le méconium qui se trouve dans leur liquide amniotique. Le méconium constitue les premières selles excrétées par le nouveau-né peu après sa naissance.

La présence de méconium dans le liquide amniotique peut mener au syndrome d'aspiration méconiale – complication pouvant être fatale qui se produit lorsque le fœtus inhale du liquide amniotique contaminé avant ou au moment de sa naissance. La présence de méconium dans les voies respiratoires peut causer une obstruction et entraîner un dysfonctionnement des poumons ou du système cardiovasculaire, une hypoxie (manque d'oxygène), une pneumonie ou des séquelles neurologiques.

« Nous savons que, normalement, les bébés s'exercent à respirer lorsqu'ils sont dans l'utérus. Ils n'aspirent pas d'air, mais ils font des mouvements respiratoires où le liquide monte et descend dans les voies respiratoires. Il est possible que du méconium entre dans les voies respiratoires avant même que le bébé prenne sa première respiration », explique le Dr Fraser, obstétricien, professeur et directeur du Département d'obstétrique-gynécologie à l'Université de Montréal.

On constate la présence de méconium dans le liquide amniotique dans 22 % de tous les accouchementsNote en bas de page 1, et le syndrome d'aspiration méconiale (SAM) se produit dans une proportion allant de 2 à 33 % de ces casNote en bas de page 2. L'amnio-infusion est une intervention qui consiste à injecter une solution stérile dans le liquide amniotique entourant le fœtus presque à terme afin de diluer la concentration de méconium. On croyait alors que le méconium dilué affecterait moins gravement les poumons du nouveau-né. Cette intervention était pratiquée couramment dans les cliniques du monde entier pour prévenir le SAM chez les femmes à risque.

« Toutefois, l'AI présente un risque potentiel pour la mère. La technique implique le transfert, par l'intermédiaire d'un cathéter, d'une importante quantité de liquide dans la cavité utérine, durant le travail », explique le Dr Fraser. L'introduction de liquide s'accompagne d'une augmentation possible de la pression dans la cavité amniotique, ce qui peut causer une embolie amniotique – complication grave qui peut être fatale pour la mère.

Dans les pays d'Amérique latine et ailleurs dans le monde, la présence de méconium dans le liquide amniotique était l'une des principales raisons de recourir à la césarienne – une intervention qui, comme telle, augmente les risques d'infection et d'autres complications pour la mère.

À la fin des années 1990, le Dr Fraser a constaté qu'il n'y avait pas de bonnes études quantitatives sur l'efficacité de l'amnio-infusion pour la prévention du SAM. Certaines concluaient à l'efficacité de l'AI, d'autres non. Toutefois, ces études étaient réalisées à petite échelle et leur poids statistique trop faible ne permettait ni de confirmer ni d'infirmer l'efficacité de l'intervention. Il s'agissait de savoir si l'intervention était réellement efficace ou si elle ajoutait un risque additionnel pour la mère et le nouveau-né.

« Pourtant, à l'époque, la technique avait été adoptée par des praticiens du monde entier afin de prévenir le SAM », de dire le Dr Fraser.

Absence de consensus parmi les médecins

Selon le Dr Thomas Wiswell, avant l'étude du Dr Fraser, des divergences d'opinions opposaient les praticiens quant à l'efficacité de l'AI.

« Une journée, je pouvais travailler à un hôpital où les médecins affirmaient ne jamais faire d'AI, car la littérature scientifique ne justifiait pas cette intervention, selon eux. Le lendemain, dans un autre hôpital, tous les obstétriciens effectuaient des AI, convaincus qu'ils étaient du bien-fondé de cette approche. Cela illustre à quel point les opinions divergeaient dans les années 1990 », affirme-t-il.

Le Dr Wiswell est professeur de pédiatrie à l'Université de la Floride et travaille aux soins intensifs néonataux de l'hôpital pour enfants à Orlando, en Floride. « Aucune étude importante ne prouvait l'utilité ou l'inutilité de cette technique », précise-t-il.

Pour résoudre ce dilemme, le Dr Fraser a entrepris une étude en 2003 afin de déterminer si oui ou non l'AI était efficace dans le traitement du SAM. Afin d'obtenir les nombres statistiques nécessaires, on a étudié dans 56 centres de 13 pays le cas de 1 800 femmes dont le liquide amniotique était contaminé par le méconium. Il fallait inclure autant de pays afin d'avoir un nombre de cas suffisamment important sur le plan statistique, indique le Dr Fraser.

Des centres en Europe, en Amérique du Sud, en Afrique du Sud, aux États-Unis et au Canada ont participé à cette recherche, ce qui en fait une initiative vraiment internationale. Publiés dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine en 2005, les résultats de l'étude démontrent que l'AI n'est pas efficace pour prévenir le SAM.

L'étude a révélé que, dans les cas où il y a du méconium dans le liquide amniotique, les risques de SAM sont les mêmes que l'on effectue ou non une amnio-infusion.

Dans les trois ans qui ont suivi la publication des résultats de l'étude, de nombreuses associations médicales dans le monde ont modifié leurs recommandations pour la pratique clinique en excluant l'utilisation de l'AI pour prévenir le SAM. L'American Academy of Pediatrics, le Neonatal Resuscitation Program et la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada ont été les premiers organismes à changer leurs recommandations.

Réseau néonatal canadien

Les travaux du Dr Fraser s'inscrivent dans un projet de recherche élargi pour améliorer les soins aux nouveau-nés au Canada. Le financement des IRSC aide à soutenir le Réseau néonatal canadien. Pour réduire les coûts et améliorer les soins, les membres du Réseau échangent de l'information sur le type de soins offerts et les résultats des traitements. Le réseau met en contact 27 services de soins intensifs en néonatologie dans tout le Canada. La base de données du Réseau a livré des conclusions nouvelles et importantes. Par exemple, tous les nouveau-nés subissent un test pour le dépistage d'une maladie qui peut causer la cécité, la rétinopathie des prématurés. Les données recueillies par le Réseau ont aidé à déterminer quand le dépistage est nécessaire, ce qui permettra d'épargner plus d'un million de dollars par année.Note en bas de page 4

Le Dr Wiswell mentionne qu'après la publication des résultats de l'étude du Dr Fraser, l'American College of Obstetricians and Gynecologists a diffusé un avis pour préciser que l'AI n'était plus une intervention recommandée dans les cas de contamination du liquide amniotique par le méconiumNote en bas de page 3.

« D'après les auteurs de cet avis, l'étude a réellement répondu à la question », ajoute le Dr Wiswell. Les travaux du Dr Fraser ont permis d'élucider une question très importante, et cela a entraîné un changement de pratique à plusieurs endroits dans le monde.

Toutefois, une mise en garde s'impose face à ces résultats. Le Dr Fraser fait remarquer que l'étude a été effectuée dans des centres où l'on utilisait une technologie électronique pour surveiller le rythme cardiaque du fœtus, et cette technologie peut indiquer des changements dans l'oxygénation. L'étude montre clairement que l'AI n'offre aucun avantage dans les centres où cette technologie est couramment utilisée, mais là où elle n'est pas disponible, le rôle de l'AI n'est toujours pas clarifié.

En fait, dans les régions du monde où cet outil de surveillance n'est pas disponible, l'AI pourrait encore s'avérer utile. Selon le Dr Fraser, il faudra poursuivre la recherche dans ce domaine.

Cette recherche dirigée par un chercheur canadien a eu des répercussions à l'échelle internationale; elle a mené à l'abandon d'un traitement inefficace qui pouvait avoir des complications certes rares, mais graves.

Lectures complémentaires

Date de modification :