S’attaquer à une maladie tenace dans le Grand Nord – la tuberculose – par de nouvelles méthodes de détection, la recherche d’un nouveau vaccin et l’action de dirigeants inuits

Panneau arrêt. Photo : Deborah Van Dyck.

En bref

L'enjeu

La tuberculose demeure un problème de santé à l’échelle mondiale. Au Canada, la maladie sévit plus particulièrement dans l’Inuit Nunangat (terre natale des Inuits du Canada), où elle se propage à grande vitesse et demeure difficile à prévenir et à traiter. Les études de nature médicale ont certes leur utilité, mais au Nunavut, au Nunavik et au Nunatsiavut, la tuberculose s’explique principalement par les déterminants sociaux : logements surpeuplés et insalubres, alimentation déficiente et manque d’accès aux soins de santé, qui en font un problème tenace dans l’Inuit Nunangat.

La recherche

À Iqaluit, dans le cadre du projet Taima TB, dirigé par le Dr Gonzalo Alvarez de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa et des partenaires inuits, on met à l’essai des méthodes de surveillance des eaux usées pour améliorer la détection, rapide et précise, de la tuberculose. En parallèle à ce projet, le Centre international de la tuberculose de McGill étudie de meilleures options de vaccination. Cependant, le remède miracle demeure hors de portée – il faudra des changements sur les plans médical et social pour éradiquer la tuberculose.

Les retombées

L’Inuit Tapariit Kanatami s’est donné l’objectif de faire disparaître la tuberculose chez les Inuits d’ici 2030; le travail de détection à partir des eaux usées et les études sur les vaccins contribueront à en freiner la propagation. En menant eux-mêmes des recherches sur leurs réalités, les Inuits renforcent les capacités de recherche et établissent de nouvelles méthodes de prévention de la tuberculose, dans l’ultime but commun d’éradiquer cette maladie infectieuse.

La nouvelle de santé publique émanant du Nunavut en 2023 ne concernait pas la COVID-19, mais une autre infection des voies respiratoires hautement contagieuse : la tuberculose.

La tuberculose (TB) n’est pas un souci pour la plupart des Canadiennes et Canadiens : les taux de TB sont incroyablement faibles dans les provinces canadiennes, voire inexistants chez les personnes non autochtones nées au Canada, et la plupart des cas touchent les nouveaux arrivants. Bref, la TB ne préoccupe pas le Canadien moyen.

Mais c’est tout autre chose dans l’Inuit Nunangat (terre natale des Inuits du Canada), où les logements surpeuplés et insalubres, le manque d’accès aux soins de santé et l’insécurité alimentaire font des éclosions de TB un problème tenace.

Un problème de taille

Gonzalo Alvarez

Au Canada, la tuberculose touche trois grands groupes : les nouveaux arrivants, certaines communautés des Premières Nations et les Inuits de l’Inuit Nunangat. Les communautés inuites affichent le taux de TB le plus élevé au pays. Cependant, le Dr Gonzalo Alvarez, chercheur à la tête de l’initiative Taima TB (en anglais seulement), qui signifie « Halte à la TB » en inuktitut, rappelle que le nombre de cas de TB au Nunavut est semblable aux cas annuels recensés à Ottawa ou dans toute autre grande ville. La différence repose sur la population : puisqu’il n’y a que 37 000 personnes sur le territoire, 100 cas par année constituent un important problème de santé publique.

C’est ce qu’on a tendance à oublier quand on considère le taux de TB dans le Grand Nord. « Si le taux d’incidence est de quelques centaines de fois plus élevé que celui des Non-Autochtone nés au Canada, le nombre absolu est d’environ 100 cas par année », explique le Dr Alvarez. Une ou deux personnes du Nunavut meurent chaque année de cette « maladie entièrement traitable ».

« Au Canada, il y a probablement en moyenne 2 000 cas de tuberculose active par année, poursuit le Dr Alvarez. De ce nombre, les trois quarts touchent des personnes nées à l’étranger, et le dernier quart, des Autochtones. Un très faible pourcentage provient de Non-Autochtones nés au Canada. »

Le Dr Alvarez, chercheur principal à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa, étudie la tuberculose au Nunavut depuis quinze ans et a, avec des partenaires inuits, fondé Taima TB en 2011, avec le soutien des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Son projet le plus récent : évaluer la faisabilité de la surveillance des eaux usées pour fournir de nouveaux outils de dépistage et, peut-être aussi, permettre des interventions précoces dans le but de traiter et de freiner la transmission de la TB. Le projet vient d’être lancé (en anglais seulement) à Iqaluit.

« Taima TB a pour mission d’aider les Inuits du Canada à arrêter la transmission de la TB dans leurs communautés, explique le Dr Alvarez. Le groupe se compose de dix membres dont des médecins et du personnel infirmier, des représentants du gouvernement, de Nunavut Tunngavik inc. et de communautés du Nunavut, ainsi que des chercheurs comme le Dr Alvarez. Ce que notre groupe cherche surtout depuis ses douze années d’existence, c’est de fournir des données probantes fiables et fondées sur la science pour susciter un changement. »

Le Dr Alvarez est ravi de la réponse de la population. Et bien que son équipe de recherche poursuive ses efforts de prévention de la TB depuis l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa, les Inuits du Nunavut et de l’ensemble de l’Inuit Nunangat occupent de plus en plus des rôles directeurs dans le projet.

Parmi eux figure Jean Allen, gestionnaire principale de la recherche à Nunavut Tunngavik inc., entité juridique qui défend les intérêts des Inuits du Nunavut. Mme Allen affirme que Nunavut Tunngavik inc. agit pour la première fois comme cochercheur dans le projet sur les eaux usées, ce qui renforce les capacités de recherche au sein de l’organisation tout en veillant à ce que la recherche profite aux Inuits du Nunavut.

« Mon souhait, c’est que moins de gens contractent la TB active, que moins de gens soient malades au point d’avoir à se déplacer vers le sud pour recevoir des traitements et que les éclosions puissent être évitées par la détection plus précoce des cas dans les communautés », mentionne Mme Allen.

Les déterminants sociaux de la santé des Inuits

Santé Publique d'Iqaluit. Photo : Natasha Stephen.

La conversation avec le Dr Alvarez dévie rapidement vers les déterminants sociaux de la santé, soit le principal facteur de TB au Nunavut.

« Il ne fait aucun doute que le logement et la nutrition contribuent directement à la tuberculose, affirme-t-il. Ici, la pauvreté et la pénurie de logements prévalent, deux conditions propices au surpeuplement. Vient ensuite la nutrition… Il suffit de constater l’insécurité alimentaire pour expliquer les problèmes de tuberculose. »

Jennifer Bull, directrice régionale d’End TB pour le gouvernement du Nunatsiavut (région inuite autonome du Labrador), partage l’avis du Dr Alvarez concernant l’importance des déterminants sociaux de la santé.

« Le document Inuit Tuberculosis Elimination Framework (en anglais seulement) [ PDF (1,55 Mo) - lien externe ] (cadre d’élimination de la tuberculose chez les Inuits) associe les taux de TB constamment élevés dans l’Inuit Nunangat aux disparités sanitaires qui touchent les Inuits par rapport aux autres populations du Canada, et insiste sur la nécessité de s’attaquer à la pauvreté et aux lacunes sur le plan des déterminants sociaux de la santé des Inuits qui ont perpétué ces taux élevés, mentionne Mme Bull. Les déterminants sociaux de la santé des Inuits dont il est question sont le logement, la sécurité alimentaire et la nutrition, le bien-être mental et l’accès aux services de santé. »

Dans quelle mesure un vaccin peut-il être utile?

Iqaluit. Photo : Gonzalo Alvarez.

La carte de la couverture vaccinale par le BCG (en anglais seulement) de l’Organisation mondiale de la santé n’affiche pas les données du Canada et des États-Unis. Plus de 90 % de la population de plus de la moitié des pays dans le monde ont reçu le vaccin BCG, mais il en est autrement au Canada où cela n’est pas la norme.

Bien que le vaccin BCG ne soit pas courant à l’échelle du pays, le Nunavut et le Nunavik ont pour politique de l’administrer à tous les bébés d’un mois, selon l’équipe de Taima TB, contrairement au Nunatsiavut, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Par ailleurs, les taux de TB dans la région désignée des Inuvialuit étant presque nuls, la vaccination n’est pas courante.

D’autres facteurs compliquent le tout. « La tuberculose est une maladie complexe qui évolue avec les humains depuis au moins l’Égypte ancienne, explique le Dr Maziar Divangahi, directeur associé du Centre international de la tuberculose McGill, et la pathogenèse (mécanisme d’infection de la maladie) demeure essentiellement un mystère. » Il estime que l’éradication de la TB passe forcément à la fois par une politique de vaccination resserrée et une recherche accrue en laboratoire.

Le vaccin BCG offre beaucoup de potentiel. Plusieurs chercheurs au Canada, dont le Dr Divangahi et Kim Tran, candidate au doctorat, étudient l’efficacité du vaccin BCG pour procurer une protection croisée contre d’autres infections pulmonaires. L’équipe a réussi à assurer une protection contre le virus de l’influenza de type A.

Le Dr Divangahi s’intéresse depuis longtemps à l’immunité entraînée. En gros, son laboratoire se penche sur une question : le vaccin BCG peut-il entraîner le système immunitaire inné à mieux combattre non seulement la TB, mais aussi d’autres infections pulmonaires?

Grâce à l’immunité acquise, les lymphocytes T, un type de globule blanc qui aide à combattre l’infection, « gardent en mémoire » ce à quoi une bactérie ressemble en étant exposés à une version affaiblie de cette bactérie dans le vaccin. Grâce à l’immunité entraînée, les globules blancs deviennent plus aptes à reconnaître et à combattre non seulement l’agent pathogène même auquel ils ont déjà été exposés, mais également d’autres organismes envahisseurs, ce qui permet au système immunitaire de réagir plus rapidement et efficacement, par exemple en se déplaçant vers les poumons et en entourant, puis en tuant les microorganismes présents dans les tissus pulmonaires.

Le Dr Divangahi soutient que cet « entraînement » des poumons pourrait « reprogrammer la réaction immunitaire innée contre la bactérie Mycobacterium tuberculosis et d’autres infections pulmonaires bactériennes ».

D’autres études, comme celle menée par la Dre Nelly Amenyogbe à l’Université Dalhousie, ont prouvé que le vaccin BCG pourrait s’avérer plus efficace en l’administrant sous forme d’aérosol ou par voie intraveineuse que par injection.

Où est le remède miracle?

Jean Allen

Bien qu’un grand nombre d’études soient prometteuses, il n’existe encore aucun remède miracle contre la tuberculose. Selon les Normes canadiennes pour la lutte antituberculeuse, le vaccin BCG est efficace chez les enfants, mais ne procure pas une protection complète et perd de son efficacité avec le temps. Les essais cliniques cités dans les Normes indiquent que la revaccination plus tard dans la vie ne favorise pas la protection.

La TB fait depuis longtemps partie de la vie au Nunavut et dans les régions inuites. C’est la perception de Jean Allen, qui a grandi à Iqaluit et dont la décision d’étudier la microbiologie découle en partie de la prévalence de la TB, du virus respiratoire syncytial (VRS) et de la bactérie H. pylori dans les communautés inuites. Ce n’est qu’à son départ du Nunavut pour étudier l’immunologie et la microbiologie qu’elle a découvert que la TB ne faisait pas partie du quotidien de la majeure partie de la population canadienne.

« La TB était courante dans mon enfance, se rappelle Mme Allen. Nous sommes nombreux à avoir des membres de la famille qui ont dû se rendre au sud pour recevoir des traitements. Même à l’école, la TB était partout : il y avait toujours quelqu’un qui en était atteint. Un programme de dépistage et de traitement était offert à l’école. »

« J’espère assister à l’éradication de la TB pour que nous puissions guérir de nos expériences du passé et enfin vivre sans TB », poursuit-elle.

Dans le cadre d’élimination de la tuberculose chez les Inuits, publié en novembre 2018 par l’Inuit Tapiriit Kanatami (l’organisme inuit national du Canada), il est question du BCG une fois seulement. Des changements sur le plan structurel sont beaucoup plus importants : réduire la pauvreté, assurer la sécurité alimentaire et construire des logements pour diminuer le surpeuplement figurent parmi les plus grandes priorités.

La recherche comme l’étude sur les eaux usées de Taima TB pourrait procurer des outils importants pour mettre fin à la transmission de la TB, mais des changements structurels s’imposent pour éliminer la TB des régions inuites une fois pour toutes. D’ici là, le Dr Alvarez concentre ses efforts sur les besoins les plus criants : la détection et le diagnostic précoces de la TB et le traitement des cas latents. Voilà l’objectif de sa nouvelle étude sur les eaux usées, que la Ville d’Iqaluit appuie avec enthousiasme.

Comme il le dit lui-même, le Dr Alvarez n’est pas formé pour construire des maisons.

Si la recherche scientifique et les connaissances inuites constituent des éléments clés pour freiner la transmission de la TB, c’est en réglant les problèmes de logement inadéquat, de nutrition et d’inégalité en santé que la maladie sera écartée.

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