Question de méthodes : Mesure du sexe et du genre des participants à la recherche
Numéro 6 – Novembre 2025
A.J. Lowik
A.J. Lowick est membre adjoint du corps enseignant en sociologie à l'Université de Lethbridge, située sur le territoire de la Confédération des Pieds-Noirs. Ses méthodes qualitatives et mixtes ainsi que ses recherches fondées sur les arts se concentrent sur la vie et la santé génésique des personnes transgenres. Certains de ses travaux portent notamment sur les menstruations, l'avortement, les soins périnataux, la lactation et la ménopause. En tant que spécialiste de la science des données, A.J. Lowick s'efforce de modifier les méthodes de collecte, de classement et de communication des données sur le sexe et le genre en s'assurant que les pratiques de recherche prennent en compte la complexité et la diversité des expériences humaines.
Auteurs : A.J. Lowick (rédaction principale), et, par ordre alphabétique, les experts-conseils : Jessica J. Cameron, Jessy Dame, Jae Ford, Lex Pulice-Farrow, Travis Salway et Sari van Anders, ainsi que Kate Shannon, dont la Chaire en science du sexe et du genre des IRSC dans le domaine de la transformation du genre et la santé sexuelle a financé ce projet.
La trousse d'outils canadienne « Gender & Sex in Methods and Measurement Research Equity » (en anglais seulement) découle de l'exaspération ressentie à la lecture d'articles évalués par les pairs concernant des projets de recherche en santé bien financés, rédigés par des chercheurs-boursiers chevronnés et bien intentionnés, mais dont les éléments liés au genre et au sexe étaient problématiques. Par exemple, on y retrouvait des tableaux démographiques indiquant les genres « homme » et « femme » (ce sont des sexes), des échantillons qui excluaient les participants trans en raison d'une mauvaise compréhension ainsi que des études confondant l'identité, l'expression et la modalité de genre. Ces problèmes avaient des conséquences importantes sur l'analyse et l'interprétation des résultats.
Notre équipe a travaillé pendant trois ans à l'élaboration de neuf outils gratuits et à sources ouvertes décrivant des directives pratiques précises pour les chercheurs en quête d'exactitude, de précision et d'inclusion visant à déterminer comment les concepts de sexe et de genre, et par extension, les personnes transgenres, intersexuées et bispirituelles, influencent la recherche en santé.
Le présent outil de la série « Question de méthodes » résume et explique ce qu'est le quatrième outil de la trousse d'outils canadienne Gender & Sex in Methods and Measurement Research Equity (en anglais seulement) [ PDF (1,96 Mo) - lien externe ]. Cet outil, ainsi que le présent document, fournit des directives pour évaluer la pertinence de mesurer divers aspects du sexe et du genre chez les participants à une étude, en indiquant quand et comment procéder. Au lieu de recommander la « meilleure » méthode à adopter, cette ressource encourage le lecteur à utiliser sa réflexion et son sens critique pour réfléchir aux avantages et aux inconvénients des différentes démarches. Même la « meilleure » mesure à certains égards peut présenter des défauts. Nous nous concentrons sur les pratiques exemplaires pour choisir intentionnellement les mesures à utiliser et justifier ces choix en faisant preuve de transparence, d'humilité et de responsabilité.
Dans le cadre du processus visant à choisir des mesures précises, exactes et inclusives du sexe et du genre, il faut d'abord répondre aux questions suivantes :
Quels sont les aspects du sexe ou du genre que je souhaite connaître au sujet des personnes qui participent à mon étude?
Pourquoi est-ce que je souhaite recueillir cette information?
Compte tenu des avantages et des inconvénients des diverses options, quelle est la meilleure méthode pour recueillir cette information et utiliser les données obtenues?
Comment puis-je préserver l'autonomie de mes participants (p. ex. auto-identification) tout en respectant les exigences de mon concept de recherche et des analyses prévues?
Le tableau ci-dessous, tiré du quatrième outil de la trousse d'outils Gender and Sex Methods and Measures Equity, est conçu pour aider les chercheurs à évaluer de façon critique les différentes méthodes de mesure du genre et du sexe dans la recherche en santé. Il a pour but de faciliter la prise de décisions réfléchies en servant de guide pour harmoniser les stratégies de mesure et les objectifs de la recherche, tout en respectant l'autonomie et les réalités vécues par les participants.
La colonne 1 décrit les principaux aspects du sexe et du genre. Elle présente des définitions claires visant à préciser les éléments qui pourraient aider à répondre à une question de recherche en santé précise.
La colonne 2 donne des exemples de mesures pour chaque aspect, en décrivant comment ces concepts peuvent être mis en œuvre concrètement.
La colonne 3 souligne les facteurs importants à prendre en considération pour évaluer si une méthode particulière cadre avec les objectifs de l'étude. Pour ce faire il faut, entre autres, évaluer les forces et les faiblesses des différentes solutions et s'assurer que les mesures choisies sont éthiques, inclusives et adaptées au contexte.
Aspects du sexe
Exemples de mesures
Éléments à prendre en compte
Assignation : Le sexe (souvent binaire) assigné par quelqu'un à la naissance ou avant, généralement en se fondant sur un examen visuel des organes génitaux du fœtus ou du nouveau-néNote en bas de page 1. Ce processus d'assignation repose sur des hypothèses liées à l'anatomie et à la physiologie de la personneNote en bas de page 2.
Quel est le sexe qui vous a été assigné à la naissance? Question ouverte ou cases à cocher proposant les réponses « masculin », « féminin », « autre » (en ajoutant une ligne pour ajouter des précisions) ou « Je préfère ne pas répondre ».
Il existe des personnes intersexuées. Si vous voulez vous assurer que votre échantillon comprend des personnes intersexuées et endosexuées (celles qui n'ont pas observé de différences quant à leur développement sexuel), vous devrez vous renseigner non seulement sur le sexe assigné à la naissance, mais aussi demander aux participants s'ils sont nés avec une variation, une différence ou une divergence touchant leurs caractéristiques sexuelles physiquesNote en bas de page 3.
Reconnaissez le malaise que la question peut provoquer, puisque certains participants, y compris des personnes transgenres, pourraient la trouver perturbante et préjudiciable. Soyez prêt à expliquer pourquoi vous posez la question et comment les données seront utilisées. Vous pouvez le faire par écrit ou verbalement avant de poser la question. Par exemple, « la prochaine question permettra de déterminer les prochaines sections du sondage auxquelles vous devrez répondre », si lesdites sections ne concernent que les personnes d'un sexe en particulier (p. ex. questions concernant la grossesse).
Indiquez clairement quels éléments ne seront pas mesurés, puisque le sexe assigné à la naissance ne peut pas être utilisé de manière fiable pour faire des allégations concernant le sexe civil, le sexe perçu ou l'anatomie et la physiologie actuelles. Tout ce que ces données révèlent est la configuration des organes génitaux externes à la naissance.
Sexe civil : Le marqueur de sexe reconnu en vertu de la loi, qui apparaît généralement sur les documents d'identification. Il est parfois appelé, à tort, « marqueur de genre ». Dans certaines régions du monde, les adultes peuvent modifier ce marqueur. Selon le pays, le processus permettant de changer le sexe civil peut exiger la présentation d'une demande, d'un certificat médical, d'être célibataire, de ne pas avoir d'enfant, etcNote en bas de page 4.
Quel est votre sexe civil? Question ouverte ou cases à cocher proposant les réponses possibles dans l'administration ou le pays visé ou offrant la possibilité de se décrire soi-même (en ajoutant une ligne pour ajouter des précisions) ou l'option « Je préfère ne pas répondre ».
Modifiez la question en tenant compte des particularités du pays, puisque les marqueurs de sexe civil doivent être appropriés et représentatifs de l'emplacement géographique où l'étude est réalisée (p. ex. M, F et X au Canada, pour les adultes).
Vérifiez s'il est pertinent de mesurer l'intention de changer le sexe civil, puisque certains participants à votre étude pourraient vouloir modifier ce marqueur et que cette donnée peut être utile.
Indiquez clairement quels éléments ne seront pas mesurés, puisque le sexe civil ne peut pas être utilisé de manière fiable pour faire des allégations concernant le sexe assigné, le sexe perçu ou l'anatomie et la physiologie actuelles. Tout ce que cette donnée vous indique, c'est que le marqueur M, F, X ou autre est indiqué sur les documents d'identification gouvernementaux de la personne.
Anatomie et physiologie : Puisque ni le sexe assigné ni le sexe civil ne permettent de prévoir systématiquement les caractéristiques anatomiques et physiologiques d'une personne, il est possible que vous ayez à demander directement quelles parties du corps ou quelles capacités physiques elle possède.
Avez-vous un [insérer la partie du corps]?
Selon vous, êtes-vous en mesure de [insérer la fonction physiologique]?
La question posée devra être précise et éviter les approximations. Par exemple, le fait d'avoir un utérus ne signifie pas nécessairement qu'une personne peut tomber enceinte; avoir un pénis ne garantit pas que la personne produit du sperme.
Expliquez le but, puisque certains participants peuvent être surpris, voire offensés, par certaines questions. Soyez prêt à expliquer pourquoi vous posez la question et comment les données seront utilisées. Vous pouvez le faire par écrit ou verbalement avant de poser la question. Par exemple, « Nous vous demandons si vous avez un col utérin afin de savoir si vous devez répondre aux autres questions de cette étude concernant le dépistage du cancer du col utérin ».
Le genre et certains aspects du sexe sont intriqués. Par exemple, même si vous avez vérifié les niveaux d'hormones d'une personne au moyen de prélèvements sanguins, les comportements influencent les niveaux d'hormones et vice versa. Il est impossible de séparer les variables liées au sexe de l'influence de l'environnement social.
Déterminez si l'anatomie de la personne est la même qu'à sa naissance, ou si elle a été modifiée chirurgicalement. Par exemple, une personne peut avoir un vagin depuis sa naissance, et une autre peut avoir subi une vaginoplastie; une personne peut avoir un pénis depuis sa naissance, et une autre peut avoir subi une phalloplastie. Vous pouvez avoir de bonnes raisons de souhaiter connaître cette information ou de limiter l'admissibilité à un projet uniquement aux personnes dont l'anatomie est la même depuis la naissance ou à celles dont l'anatomie résulte d'une chirurgie.
Aspects du genre
Exemples de mesures
Éléments à prendre en compte
Identité de genre : Le sentiment intérieur profond d'une personne par rapport aux termes et aux étiquettes associés aux genres culturellement reconnus.
Quelle est votre identité de genre actuelle? Question ouverte ou cases à cocher proposant un nombre limité de réponses ou une liste plus exhaustive. Cette liste peut inclure les réponses suivantes : masculin, féminin, non-binaire, personne agenre, de genre queer et autre, selon les besoins de l'étude. Cette liste peut aussi comprendre un espace pour préciser toute autre identité de genre ressentie.
Recherchez un équilibre entre les options inclusives et l'usage des données. Vous devez déterminer le nombre et les options de données à inclure selon l'utilisation que vous comptez en faire. Cette liste peut aussi comprendre de la terminologie culturelle ou régionale. Un plus large éventail de réponses possibles peut aider les participants à s'auto-identifier de façon plus précise, mais il peut entraîner un manque de puissance statistique limitant les analyses. Il est possible de poser deux questions sur l'identité de genre : une permettant aux participants de décrire librement leur genre, dans toute sa complexité et ses nuances, et une autre offrant un choix de réponses limité, pour laquelle vous précisez que le répondant doit indiquer comment il souhaite être catégorisé aux fins de stratification ou de comparaison.
Prenez en compte les conséquences d'une « réponse unique » par rapport à la possibilité de « sélectionner toutes les réponses applicables ». Par exemple, une réponse unique peut simplifier les analyses, mais elle ne permet pas aux personnes qui ont plus d'une identité de genre de s'exprimer. Si vous autorisez les répondants à sélectionner toutes les réponses applicables, prévoyez comment vous allez gérer la complexité accrue des réponses; devrez-vous remplacer leurs réponses? Classerez-vous chaque personne dans toutes les strates correspondant aux réponses indiquées? Ferez-vous une distinction entre les participants qui ont indiqué une seule identité de genre et ceux qui ont choisi cette même identité et une ou plusieurs autres?
Prenez en compte les conséquences des questions ouvertes, qui permettent aux participants de se décrire librement. Cependant, elles nécessitent parfois une attention et une expertise supérieures au moment du codage ou du recodage des données, selon la complexité des réponses.
N'oubliez pas que le genre « bispirituel » correspond à peu d'étiquettes occidentales liées aux identités de genre. Il faut s'assurer qu'il convient après avoir déterminé qu'un participant est autochtone. Le terme bispirituel peut être utilisé pour décrire des aspects du genre ou de la sexualité, mais, pour bon nombre de personnes, il ne se résume pas à cela. Consultez le document de l'ISFH « Question de méthodes » sur la bispiritualité pour en savoir plus..
Modalité de genre : La relation entre le genre ou le sexe assigné à une personne et son identité de genre actuelle. Une personne cisgenre s'identifie, actuellement, au sexe qui lui a été assigné à la naissance, contrairement à une personne transgenre, qui ne s'identifie pas au sexe qui lui a été assigné. Une personne allogenre n'est ni cisgenre ni transgenreNote en bas de page 5.
Avez-vous vécu une expérience transgenre? Avez-vous des antécédents trans? Ou d'autres mesures individuelles permettant de déterminer si la personne est catégoriquement transgenre.
Ou
Posez des questions sur le sexe assigné et l'identité de genre actuelle et comparez les réponses pour déterminer si elles concordent ou non (ramifications/coïncidencesNote en bas de page 6) – il s'agit de la méthode en deux étapes.
Ou
Méthode 3x3 – les participants vous communiquent leur(s) genre(s) et leur position dans une grille 3x3, qui comprend les catégories cisgenre, transgenre et allogenre d'un côté, et les catégories binaire, non binaire et allobinaire de l'autre. Ils doivent ensuite expliquer leurs réponses.
Évitez l'altérité, qui découle de l'ajout de « femme trans » et « homme trans » comme identités de genre possibles, aux côtés de « femme » et « homme ». Cette formulation laisse entendre que les « femmes/hommes » et les « femmes/hommes trans » sont des catégories distinctes. Si les « femmes trans » et les « hommes trans » sont mentionnés, ils doivent apparaître aux côtés des « femmes cisgenres » et des « hommes cisgenres ». Il convient de souligner que cette question permet de confirmer l'identité de genre et la modalité de genre simultanément. N'oubliez pas que ce n'est pas tout le monde qui se proclame « cisgenre » ou « transgenre » pour décrire son identité de genre.
Si vous choisissez la méthode en deux étapes, déterminez comment vous catégoriserez les participants qui affirment avoir plusieurs identités de genre, concordantes et discordantes (ou ramifiées et concomitantes). Par exemple, un participant peut affirmer s'être vu assigner le sexe féminin à la naissance, mais s'identifier comme un homme non binaire. Cette personne doit-elle être considérée comme transgenre, cisgenre ou allogenreNote en bas de page 7?
Si vous choisissez la méthode en deux étapes, tenez compte de l'ordre des questions, puisque des recherches ont révélé que beaucoup de participants transgenres préfèrent répondre d'abord à la question sur leur identité de genre, puis à celle sur leur sexe assigné. L'inverse accorde la priorité au sexe assigné dans le cadre d'un sondageNote en bas de page 8.
Expression de genre : La façon dont une personne se présente ou s'affiche, y compris ses vêtements, sa coiffure, ses manières et son comportement.
Comment décririez-vous votre expression de genre? Utilisez une case à remplir ou une case à cocher offrant les options « androgyne », « masculine » et « féminine » et précisez si une seule réponse est exigée ou s'il faut cocher tout ce qui s'appliqueNote en bas de page 9.
Ne présumez pas que l'identité et l'expression de genre concorderont automatiquement. Sans le demander directement, vous ne pouvez pas raisonnablement supposer que toutes les femmes de votre échantillon sont aussi féminines et il faut donc émettre une hypothèse quant à l'incidence des perceptions sociétales de la féminité sur vos données. L'expression de genre de certaines personnes cadre avec les comportements généralement attendus (p. ex. un homme agit de façon masculine), mais, dans d'autres cas, leur façon d'exprimer leur identité n'est pas aussi claire ou linéaire.
La perception de soi est importante, mais elle n'est pas toujours représentative de ce que les autres perçoivent. Déterminez s'il est préférable d'interroger aussi les participants sur la façon dont les autres personnes les voient, les perçoivent et les considèrent selon eux. Si une personne non binaire se perçoit comme androgyne, mais croit que les autres la considèrent comme une femme cisgenre ou transgenre, cette méconnaissance sur le plan de l'identité, de la modalité et de l'expression de genre peut servir à expliquer certaines façons dont elle est traitée et, par conséquent, les expériences qu'elle a vécues.
Félicitations! Vous avez obtenu des données vous permettant de décrire avec exactitude et précision votre échantillon, tout en renforçant l'intentionnalité et la transparence du processus de génération de données. Les participants auront aussi une meilleure idée des raisons pour lesquelles vous devez connaître les différents aspects de leur sexe et de leur genre, et de l'usage qui sera fait de ces données. Et maintenant, quelle est la prochaine étape? Comment peut-on aborder l'analyse des données en faisant preuve d'une attention et d'une délicatesse comparables? Consultez l'outil no 5 de la trousse GSMM (en anglais seulement) [ PDF (1,94 Mo) - lien externe ] pour en savoir davantage
Les opinions exprimées dans ce document sont celles de A.J. Lowik et auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l'Institut de la santé des femmes et des hommes des IRSC ou du gouvernement du Canada.