Promouvoir la mégascience dans le domaine

Ce résumé est fondé sur un rapport préparé par le Dr Mark Bisby. Les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas forcément celles de l'Institut de la santé publique et des populations des Instituts de recherche en santé du Canada (ISPP des IRSC). Veuillez communiquer avec l'ISPP des IRSC à l'adresse suivante pour obtenir la version intégrale du rapport du Dr Bisby : ipph-ispp@uottawa.ca

Résumé

L'Institut de la santé publique et des populations des IRSC met sur pied une initiative de mégascience en santé des populations, axée sur l'amélioration des conditions sociales par l'étude de grandes questions de politique publique, et privilégiant la recherche interventionnelle. Ce rapport examine les leçons apprises dans d'autres domaines de recherche où l'approche mégascientifique est suivie depuis plusieurs décennies (p. ex. physique des hautes énergies, astronomie) ou depuis moins longtemps (p. ex. sciences environnementales, biologiques, biomédicales), et parle de l'applicabilité de ces leçons aux initiatives de recherche futures en SPP. L'information contenue dans ce rapport est tirée de la littérature scientifique et de la documentation parallèle, et découle de 14 entrevues avec des gens pratiquant diverses formes de mégascience, ou ayant rédigé abondamment sur son application.

La mégascience se manifeste de plusieurs façons : groupes de réflexion, réseaux, plateformes, grands projets, initiatives descendantes, et véritables projets ou expériences mégascientifiques. Elle s'attaque à de grandes questions, nécessite une infrastructure complexe, génère des données abondantes et mobilise de nombreuses disciplines. La mégascience requiert une gestion professionnelle et des communications adroites; un niveau de financement et des délais qui dépassent les normes habituelles des organismes subventionnaires; et des partenariats entre plusieurs bailleurs de fonds, qui exercent une supervision vigilante.

Avantages et inconvénients de la mégascience. La mégascience permet de générer de l'information impossible à obtenir autrement. Elle peut assembler plus rapidement des échantillons de taille suffisante pour produire des résultats statistiquement valides. Elle met en commun les talents du milieu scientifique international, et sa riche interdisciplinarité génère des innovations qui semblent se traduire en gains de productivité et permet d'exercer un impact accru. La mégascience peut aussi offrir un milieu de formation de qualité supérieure permettant aux stagiaires de s'initier à différentes disciplines dans un environnement favorable offrant une plus grande variété d'expériences, y compris la possibilité de travailler dans le secteur privé ou public. Idéalement, la mégascience enrichit la miniscience en mettant à sa disposition une infrastructure, une expertise et de l'information.

La miniscience souffre du manque de coordination des objectifs de recherche, du cloisonnement des disciplines, de la passivité de l'échange d'information par le média surexploité que sont les publications scientifiques, et du chevauchement des efforts qui s'ensuit. La mégascience coordonne les expertises afin d'assurer le déroulement logique du travail, d'éviter le gaspillage des efforts et de permettre le transfert et l'échange d'information entre disciplines. Avec la mégascience, il est plus facile de rallier les gens autour d'un but commun, de pratiquer une recherche axée sur les résultats et de favoriser le dialogue entre les chercheurs et les utilisateurs des connaissances. Les projets mégascientifiques répartissent les ressources de sorte que les données soient produites dans un format uniforme et conservées de façon professionnelle, en plus d'être sécurisées et mises à la disposition de tous les participants et, généralement, de tout le milieu scientifique. Les projets mégascientifiques consacrent beaucoup de ressources aux communications, à la fois internes et externes.

La participation à la mégascience internationale permet au Canada d'établir sa présence dans des domaines de recherche coûteux, en retour d'un investissement modeste. La réputation enviable du Canada en astronomie en est un bon exemple. Appliquée à la recherche en santé et en sciences humaines, la mégascience est généralement axée sur les solutions et financée sur la base d'attentes particulières quant à la rapidité des impacts sur de graves problèmes sociaux, environnementaux ou de santé. Comme elle est motivée tant par son intérêt scientifique que par les enjeux de santé publique, elle attire des partenaires financiers des secteurs public, privé et bénévole, qui fixent les objectifs de recherche en collaboration avec les chercheurs.

C'est justement cette approche « descendante » dans la sélection des objectifs qui inquiète les opposants de la mégascience, selon qui les chercheurs devraient pouvoir se laisser guider librement par leur curiosité. Ils soulignent les coûts de renonciation de la mégascience, ses frais généraux élevés et son niveau de risque. En réalité, il ne s'agit pas de choisir entre la méga- et la miniscience, car les deux sont interdépendantes. Un milieu miniscientifique vaste et bien financé alimente la mégascience en chercheurs talentueux, et la mégascience met à la disposition de la miniscience les outils et l'information qui assurent sa prospérité.

La mégascience au Canada doit faire face à plusieurs défis. Il n'y a pas de processus établi pour déterminer le mode d'évaluation ou de financement de la mégascience, et le financement des différentes composantes est morcelé entre plusieurs bailleurs de fonds. La multiplicité des partenaires financiers est nécessaire et, même si leur recrutement est fastidieux, ils contribuent à garantir que la recherche s'oriente sur les besoins des partenaires utilisateurs des connaissances. Cette absence de processus expose la mégascience à l'ingérence politique.

Tandis que les organismes de financement encouragent les grands projets multidisciplinaires, ce sont surtout les réalisations des chercheurs indépendants qui intéressent l'évaluation par les pairs et ouvrent la voie aux promotions. Cette contradiction dissuade les chercheurs, en particulier les plus jeunes, de participer à la mégascience. Le milieu de la physique a réussi à surmonter ce problème en tenant soigneusement compte du rôle de chaque participant dans les projets mégascientifiques. Les autres défis sont liés aux évaluations par les pairs multidisciplinaires, à l'examen éthique de projets multicentriques en santé et à la nécessité d'évaluer les projets mégascientifiques en santé en fonction à la fois de leur impact socioéconomique et de leur productivité en matière d'articles publiés.

Le succès de la mégascience dépend d'un leadership visionnaire et d'une gestion experte. Les leaders doivent être des chercheurs estimés qui donnent l'exemple et adoptent un style consultatif et conciliatoire. Ils consacrent la majorité de leur temps à créer des coalitions et à résoudre les conflits initiaux. Les participants à la mégascience, même s'ils sont des experts dans leur domaine, doivent reconnaître la valeur des contributions que peuvent faire d'autres disciplines au projet. Les gestionnaires de projet compétents pourvus de la bonne combinaison d'expérience scientifique et administrative sont rares, mais essentiels.

La structure organisationnelle des projets mégascientifiques sépare les fonctions de gouvernance stratégiques des activités opérationnelles quotidiennes, et élimine les conflits d'intérêts potentiels dans la répartition des ressources. La qualité des communications entre les participants est essentielle : en dépit du rôle de plus en plus important des médias électroniques, les contacts en personne permettent de développer un lien de confiance et des relations professionnelles harmonieuses. Il est nécessaire d'établir des politiques portant sur les privilèges des bailleurs de fonds, les droits d'auteur, les normes de données, la conservation/publication/propriété des données, ainsi que l'exploitation de la propriété intellectuelle. Tous les participants doivent sentir qu'ils peuvent influencer les objectifs de recherche à mesure que le projet avance. Des infrastructures coûteuses, un budget de fonctionnement bien garni et des méthodes de gestion des données sophistiquées, bien que nécessaires, ne suffisent pas à assurer le succès de la mégascience : il faut aussi de saines relations professionnelles entre les chercheurs.

La mégascience et la recherche en SPP. Déjà, de nombreuses études épidémiologiques peuvent être qualifiées de « méga » en raison de leurs vastes cohortes, de leurs coûts, de leur complexité, des données qu'elles produisent, de leurs échéanciers et du nombre de leurs collaborateurs et de leurs partenaires financiers. Dans la réflexion sur la place de la mégascience en recherche sur la SPP, plusieurs visions du futur doivent être prises en compte :

  • La santé unique, une vision holistique de l'interdépendance entre la santé de toutes les espèces, ce qui implique la mobilisation de spécialistes en recherche vétérinaire, agricole et environnementale, et non seulement de chercheurs en santé humaine. Selon cette vision, on se préoccupe aussi des adaptations sociales futures que nécessitera un écosystème planétaire instable.
  • Les nouvelles applications des technologies de l'information, qui mettent à la disposition de la recherche en SPP de nouveaux modèles d'étude, de nouvelles données et de nouvelles façons de les recueillir.
  • La génomique, qui n'a pas encore réalisé ses promesses, puisque la plupart des variantes génétiques découvertes jusqu'ici ne sont pas des prédicteurs infaillibles de la maladie. La génomique sera surtout utile à la recherche en SPP pour expliquer pourquoi une variante génotypique rend certains individus particulièrement vulnérables à des facteurs environnementaux, en se servant des pires scénarios, plutôt que des moyennes, pour promouvoir des changements aux politiques.
  • La « populomique », une nouvelle discipline largement dépendante des innovations en technologies de l'information, qui entrevoit un avenir où l'intégration des données génétiques, des dossiers de santé et des données de santé des populations permettra une compréhension complète de l'état de santé, et où la plupart des interventions en santé seront de nature préventive.
  • La recherche interventionnelle, qui s'intéresse à l'application et à l'évaluation des interventions visant à réduire les disparités en santé, plutôt qu'aux raisons de ces disparités. Les projets mégascientifiques en recherche interventionnelle ne se limitent pas à la promotion de la santé et à la prévention des maladies, mais s'étendent à des domaines comme l'éducation, le logement et la justice. Ces projets doivent faire face au problème « d'horizontalité » découlant du fait que de multiples organismes et ministères non coordonnés ne sont que partiellement chargés de modifier les politiques.

À partir de ces considérations, trois approches mégascientifiques sont suggérées ici pour la recherche en SPP, avec description de leurs impacts à court, moyen et long terme :

Plateforme et analyse de données. L'ISPP devrait promouvoir l'acquisition, la conservation et l'accessibilité des données dont dépendent les chercheurs en SPP. Cela requiert l'adoption de normes nationales et internationales uniformisées pour la catégorisation et la fiabilité des données, ainsi que la résolution des problèmes d'interopérabilité imputables à des questions d'ordinateur, de logiciel et de protection de la vie privée, de sorte que les données soient disponibles pour analyse secondaire. On trouve à l'étranger plusieurs exemples d'organismes qui facilitent l'accès aux données de santé des populations à des fins de recherche, comme le Population Health Research Network1 en Australie.

Réseau de centres spécialisés en recherche et en politiques. La plupart des leviers politiques pouvant influer sur les déterminants de la santé sont du ressort des provinces, et c'est à l'échelle provinciale que la recherche pourra interagir le plus efficacement avec les politiques. Cela contribue aussi à mettre en contexte les problèmes de santé des populations et leurs solutions et permet de tirer parti des relations personnelles déjà établies. L'ISPP des IRSC pourrait soutenir des centres régionaux/provinciaux spécialisés en recherche et en politiques sur la SPP, qui seraient regroupés en réseau national par un centre de coordination, lequel serait en contact avec les organismes fédéraux. Les centres seraient conjointement soutenus par les IRSC et les organismes de financement provinciaux; la contribution provinciale financerait les interventions expérimentales, et celle des IRSC financerait la recherche visant à évaluer l'efficacité des interventions.

Un « Grand Défi » en SPP axé sur une question à fort impact sur la santé des Canadiens ou la santé mondiale : les répondants ont suggéré le changement climatique, la détection et la lutte aux éclosions de maladies infectieuses, et la santé autochtone et circumpolaire. N'importe quel de ces thèmes pourrait combiner la perspective écologiste avec l'approche populomique. Il s'agirait d'un projet d'intervention combinant la recherche ciblée avec l'activisme social et communautaire, et réunissant un grand nombre d'acteurs. Les partenaires seraient sans doute recrutés dans des organismes de revendication publics, des organismes bénévoles en santé, d'autres organismes de la société civile et de l'industrie. Les Grands Défis doivent être transformationnels quant à leur vision et à leur exécution, et leurs objectifs doivent être réalisables dans un délai de dix ans.

Cette citation récente concerne l'astronomie, mais elle semble tout aussi pertinente pour l'avenir de la recherche en santé des populations : « Tôt ou tard, le milieu se rendra compte que l'époque de l'astronome solitaire est révolue, que la discipline est devenue trop vaste et complexe pour être abordée par autre chose que des groupes nombreux, dont les travaux scientifiques sont réalisables seulement par code (informatique) »2.

Remerciements

L'Institut de la santé publique et des populations des Instituts de recherche en santé du Canada (ISPP des IRSC) tient à remercier les membres du groupe consultatif (Jamie Blanchard, Roy Cameron, Erica Di Ruggiero, Nancy Edwards, Tim Evans, John Frank, Vivek Goel, Susan Kirkland, Michael Wolfson) pour leurs conseils stratégiques et leur supervision. Un remerciement spécial au Dr Mark Bisby pour son temps et son expertise dans la préparation de ce rapport.

Le contenu du rapport peut être reproduit entièrement ou en partie, pourvu qu'il ne soit pas destiné à des fins commerciales et que l'ISPP des IRSC en soit dûment informé.

  1. The Population Health Research Network (en anglais seulement).
  2. Citation de Jim Gunn, Université Princeton, dans "CultureLab: How astrocoders have mapped the universe", 2010 (en anglais seulement). Consulté le 28-03-2011.
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